Le mal qui rongeait l'Ecologiste s'était révélé bien plus coriace que prévu. Il avait fallu trois jours et deux nuits à Leluche pour en venir à bout. Mais le politicien avait fini par se relever.
«Ça lui apprendra à ne pas respecter un minimum d'hygiène au contact des animaux» songea-t-il. En poussant la porte de sa maison, il fut surpris de la trouver vide. Une lettre l'attendait sur sa table. Le messager qui les déposait connaissait un peu Leluche, ou du moins suffisamment pour savoir qu'il n'était pas un sorcier et qu'il pouvait rentrer chez lui et poser les éventuels messages sur sa table. Le guérisseur laissait d'ailleurs toujours à son intention une assiette de biscuits et une bouteille de citronnade. C'était ses pêchers mignons depuis que l'albinos lui en avait donné alors qu'il était resté une semaine à son chevet pour le sauver de sa cécité progressante. Un petit miracle, comme le nommait-il.
La lettre portait le sceau officiel de la Garde de Bonta. Sans doute un blessé à sauver.
«Il faudra qu'ils comprennent que la guerre n'est pas un jeu...»
Ce qui l'inquiétait plus, c'était que la lettre était déjà décachetée. Le messager n'aurait jamais fait ça. Il ouvrit la lettre :
Cher Lel,
Daniel et moi avons eu un tout petit problème de voisinage ce matin à l'auberge. Un capitaine des Gardes, des Gardes, des brigands, des assassins et des mercenaires ont voulu embarquer Daniel, le tuer et me tuer aussi accessoirement. Rien de grave donc. Ce qui est plus compliqué, c'est que Daniel a mit hors jeu une bonne partie d'eux, en a tué une autre (dont le capitaine) et que le combat a transformé la salle de l'auberge en champ de batailles encore moins bien rangé que tes objets privés. Ce qui est encore plus compliqué, c'est qu'il l'a fait en un rien de temps. Je pense que tu devines comment. J'ai beau lui répéter qu'il n'avait pas le choix, les morts (mais pas le capitaine) restent sur sa conscience. Tu as raison : les armes, c'est une belle saloperie. Et là où sa commence à nous embêter, c'est que le Général des Soldats en personne est venu nous arrêter (ça je ne lui en veux pas, vu la scène c'est plus que compréhensible). Ils nous interrogent sans relâche (Daniel a réussi à les convaincre de nous laisser dormir, le fait que tu m'adores a dû aider). Ils sont vraiment butés. Et Daniel veut savoir qui était le capitaine des Gardes, et où a-t-il trouvé la chevalière à sa main (un peu la même que la tienne, mais en noir très mat, tu vois?). Du coup c'est une partie de boofball verbal.
Ne t'en fait pas, Daniel m'a promit que l'on sortira dans une semaine au plus,
Bisous,
Ta Vicky adorée.
PS : je ne sais pas ce que tu fais à l'Ecologiste, mais au moment où ils allaient nous mettre dans un cachot classique, une lettre de son meilleur ami est arrivée. Du coup, on a la suite royale des invités de la Garde!
Bien qu'il ait souri aux passages ironiques, Leluche ressortit de sa brève lecture avec une réponse qu'il aurait préféré ne jamais avoir. Ils n'étaient pas là car ils étaient jugés pour meurtre. Il savait qu'ils ne craignaient rien. Victoire le lui avait bien fait comprendre entre les lignes. Elle devait savoir que son courrier serait contrôlé et lui avait décrit la situation de telle sorte que les contrôleurs ne pourraient pas la comprendre. Cependant... maintenant qu'il ne soignait plus l'Ecologiste... Et il ne savait pas du tout comment aborder la situation de Daniel. Leluche haïssait ceux qui retiraient la vie mais de toute évidence, Ösrigur s'était manifesté et pas sans raison.
Comme si la situation n'était pas assez angoissante tant pour le père aimant qu'il était que pour le féru d'Histoire ou que pour le Guérisseur, il songea à un détail : si les Gardes avaient vérifié le courrier, pourquoi avait-il brisé le sceau? Ils avaient dû le vérifier avant. Par conséquent, quelqu'un avait à un moment ou à un autre ouvert sa lettre. Il se retourna pour aller à la porte voir si le messager n'était pas là. Un xélor en armure lui bloquait le passage, l'air détendu, un bras appuyé sur l'embrasure. Il portait un uniforme brâkmarien.
«Enchanté! Je me présente : Rhigalt.
-Que puis-je faire pour vous, demanda machinalement l'écaflip albinos en se doutant bien que l'inconnu n'était pas amical.
-Et si nous en discutions autour d'une tasse?»
Rhigalt regarda sa tasse puis celui chez qui il s'était introduit. Non, cet homme aimait trop la vie pour vouloir l'empoisonner. Il but une gorgée puis commença :
«Veuillez m'excuser de cette intrusion. Des Gardes de votre nation sont passés et je n'ai du d'autre choix que de me cacher chez vous pour depuis une heure ou deux.
-Une vraie plaie ces conflits. Les patrouilles ont été décuplés aux points stratégiques, impossible de circuler en paix.»
Le Chef des Gardes lut dans son expression qu'il savait pertinemment qu'il n'y avait pas de patrouilles près de chez lui.
«J'ai appris que vous êtes un soigneur hors pair, meilleur même que la plupart des éniripsas.
-On ne vous a donc pas dit que j'étais un démon?
-Si, aussi, mais il ne faut pas tenir compte des rumeurs infondées.
-Vous avez bien fait. Vous êtes perspicace, surtout pour un étranger visitant Bonta.
-Oh, ce n'est pas la première fois que je viens sur ce continent. Avant d'être Chef des Gardes, j'ai été le comptable de l'Ambassadeur et sa plume, par moment. Il fut un temps où il se reposait totalement sur moi. Avant de le remplacer officiellement.
-Mais vous avez abandonné la plume pour l'épée, rétorqua Leluche avec un dégoût marqué sur le dernier mot.
-Oui, les querelles de pouvoirs idiotes se multipliaient même au sein de l'ambassade et le Gouverneur de l'époque m'a rappelé pour l'armée. Et petit à petit, j'en suis arrivé là. Chef des Gardes de Brâkmar.
-Soyez honnête. Dites-moi ce que vous venez faire ici.
-Je viens juste vous demander de l'aide.
-Si j'étais un idiot, je ne serais plus là. Pourquoi le Chef des Gardes de Brâkmar prendrait-il le risque d'empirer les relations entre ces deux nations en venant illégalement ici?
-Qu'est-ce qui vous dit que je suis venu par d'autres voies?
-N'importe quel douanier ne vous aurait pas laissé votre arme.
-Je suis peut-être venu par zaap, imagina le xélor.
-Sauf qu'ils sont tous gardés. Donc, que venez-vous faire ici?
-J'ai besoin de vos talents.
-Pour des blessés, une lettre aurait suffi. Soyez plus clair ou je commencerai vraiment à trouver votre présence indésirable.
-Vos talents de traducteur.»
Rhigalt lui tendit l'ouvrage qu'il avait acheté à prix fort aux scientifiques. La serrure temporelle, bijou de technologie, avait été ouverte par ses soins quelques heures plus tôt. Le passionné d'Histoire l'ouvrit, avec une précaution infinie.
«J'ai déjà lu la plupart des passages qui m'intéressaient. Le reste est ou inintéressant, ou illisible.»
L'Altruiste reconnut immédiatement les runes de la note attachée à l'intérieur. Ses yeux s'écarquillèrent en en survolant le contenu.
«Vous semblez connaître ces runes.
-Plus personne ne peut les lire.
-Vous si.
-Oh non, j'aimerais bien mais non.
-Le contenu est-il donc si alarmant pour que vous vous mettiez à mentir?
-Ce langage est celui de la civilisation éliatrope. Plus personne ne le lit.
-Alors pourquoi votre petite pièce secrète - pas si bien cachée - est-elle remplis de textes s'y référant et de leurs traductions?»
La cache en question était un pan du mur qui pivotait derrière lequel il rangeait ses textes les plus rares. Non pas pour les cacher mais pour les abriter d'une éventuelle catastrophe naturelle.
«On me les a vendu avec.
-Menteur. Si vous voulez une preuve, comparez l'écriture de votre fille sur cette note de traduction et sur la lettre.
-Veuillez sortir d'ici sur le champ!
-Non. Voici une feuille et un crayon. Traduisez.
-Oh non.»
Rhigalt sortit de sa poche un petit tableau de Victoire offert par un peintre ambulant.
«La petite est mignonne. Ses yeux sont une vraie merveille. Il serait dommage que votre obstination lui coûte son petit minois.
-Ne la touchez pas!
-Mais enfin! Des tas de filles de son âge rêvent de découvrir les joies du viol! Et puis ces yeux... Certaines personnes paieraient le prix fort pour les exposer. Vous voulez que l'on agisse dans quel ordre? Agression viol yeux? Ou yeux agression viol? Agression yeux viol? Viol agr...
-Assez!
-Non. TRADUISEZ, ordonna le xélor de sa voix froide et implacable.
-Non.
-Alors... Haf! Dis à tes hommes de le faire dans l'ordre qu'ils le veulent, cria-t-il à l'intention d'un Garde en rouge sur la plage, lequel était de toute évidence sorti de sa cachette.
-Vous êtes un monstre...
-C'est pourtant simple. Fatale ou votre fille.
Leluche sentit cette dernière réplique comme un coup mortel. L'avenir du monde contre la vie de sa fille. Son choix fut trop bref.
Il arracha le parchemin des mains de Rhigalt et commença à traduire.
Page suivanteCréé le 15/08/13 é 05:30
Derniére modification le 31/03/14 é 08:47
Au passage Xeny, j'apprécie que tu envisages me lire, ça fait plaisir!
@Watsuo : comme pour les premiers carnet, il faut tester pour savoir...