PARTIE I
Chapitre I : Des bandits.
Deux heures après la bataille, les trois hommes comptaient leur butin, soignant leurs blessures.
L'affrontement avait été difficile, mais ils s'en étaient sortis sans trop de dégats.
Beth Adhynn, l'Eniripsa, avait assuré les arrières de l'équipe, psalmodiant sans relache des mots de soin et de protection, tandis que Brizerain le Iop et Torbwa Yo le Pandawa s'occupaient des assauts frontaux. Ils n'étaient que trois, mais avaient appris à travailler ensemble de manière optimale, afin de ne jamais laisser de chance à leurs adversaires.
Et puis, ils avaient le Sacrieur.
Torbwa se leva une fois le partage terminé, laissant Beth s'occuper de faire comprendre au Iop pour la énième fois que non, celui qui donnait le plus de coups n'était en aucun cas celui qui devait récolter la plus grosse part du butin.
C'était un Pandawa massif, le genre d'individu capable de soulever sans grand mal trois de ses coéquipiers à la fois. On l'aurait facilement pris pour un homme avec un serieux embonpoint à première vue, mais il suffisait de voir ses prouesses en combat pour réaliser qu'il n'était pas seulement bedonnant, mais clairement musclé malgré ses apparentes rondeurs. Muscles ou pas, ses deux mètres dix dissuadaient bien vite ses détracteurs de faire des commentaires désobligeants à son encontre. A vrai dire, seul Beth se le permettait, mais uniquement parce qu'il était conscient qu'il ne risquait rien, au vu de son statut de guérisseur au sein du groupe.
Il s'approcha d'un pas décidé du Sacrieur attaché à un arbre. Ses petits yeux chafouins se plissèrent, réduits alors à d'étroites fentes noires, lorsqu'il le détailla du regard.
Je sens des relents nauséabonds d'alcool. Torbwa, evidemment : même lorsque les autres picolent, leur odeur est bien plus supportable que la sienne, résultant, à n'en pas douter, d'années passées à se murger dans un bouge cradingue. Ca, ou les Pandawas ont une tradition stupide les poussant à se tartiner les aisselles d'alcool et laisser fermenter le tout une poignée de mois.
Le Pandawa n'était dans l'équipe que depuis peu de temps, et ne se faisait décidément pas à l'allure de la chose pitoyable qui leur servait de bouclier de viande.
On ne nourrissait Vyem que pour le maintenir debout : le strict minimum pour un Sacrieur, ce qui équivalait à presque rien pour quiquonque n'avait pas choisi la voie de la Déesse miséricordieuse. En résultait une maigreur maladive, la peau violacée par les coups et les hématomes du Sacrieur laissant transparaître ses côtes, ainsi que certains os au niveau de ses bras et jambes.
Pour combler le tout, on avait pris le soin de greffer sous d'anciennes plaies ouvertes quelques pointes faites d'ossements au niveau de ses bras, laissant ensuite la légendaire cicatrisation des adeptes de Sacrieur faire son office afin que la peau vienne maintenir les objets en place. Peu importait qu'il ait telle allure : ces fanatiques de la souffrance avaient toujours été perçus comme des marginaux, exhibant cicatrices sans retenue, malmenant leur corps, s'extasiant à la vue de leur propre sang.
Evidemment, quelques détails auraient certainement pu indiquer à un voyageur un peu trop curieux que la situation du sac de frappe sur pattes n'avait rien de classique. Peut-être les sutures au niveau des paupières et des lèvres du malheureux -une idée de Beth-, ou encore le lourd collier de métal passé à son cou. Des marques qui indiquaient clairement sa condition d'esclave ou, comme on disait dans le milieu pour adoucir le propos, de "bouclier humain".
Pourtant, tout portait à croire qu'il aurait certainement eu du charme, pour un Sacrieur, s'il n'avait pas été contraint à subir ces traitements. Ses cheveux, longs et malheureusement laissés à l'abandon depuis des mois, avaient une étrange teinte violette, et ses traits apparaissaient fins et étonnament délicats pour un berserker élevé à la douleur pure. Son visage possèdait cette caracteristique étrange, propre autant aux disciples de Iop que de Sacrieur, qu'est l'absence de nez, mais un menton volontaire et des lèvres un peu plus charnues que chez nombre de ses confrères cassait net l'allure trop plate qu'aurait pu avoir son profil.
Vyem.
Le Pandawa passa son index massif sous la machoire du Sacrieur, le forçant à redresser la tête.
-T'es content ?, tonna-t-il de sa voix de basse, à faire vibrer les entrailles. C'est grâce à toi aussi, cette victoire. T'en retires pas de fierté ?
Lorsqu'on coupait les fils à ses lèvres, pour le laisser se nourrir, jamais il ne pipait mot. Pas un hurlement, pas un appel au secours, pas un sanglot de désespoir. Même lorsqu'on le questionnait, il ne répondait pas, laissant un silence glacial s'installer, ne daignant même pas obtempérer sous les menaces et les coups. Beth maintenait qu'il était tout à fait capable de s'exprimer, mais qu'il refusait par insubordination. Une forte tête, au final. Difficile de forcer un Sacrieur à obtempérer, la peur des représailles et de la souffrance étant totalement absente de leur culture.
Du fait, Torbwa s'attendait d'avantage à un simple hochement de tête, ne voyant pas la nécessité de libérer cette bouche muette. Il n'en eut pas. Vyem resta immobile.
-T'es pas drôle. Tu devrais être content, non ? T'as toute la douleur dont ton p'tit cerveau de demeuré à besoin.
-Arrête de lui causer, lança l'Eniripsa, occupé maintenant à allumer un feu de camp. C'est un outil, pas un compagnon de route.
Le mauvais caractère du disciple de la Fée des Miracles demandait une infinie patience de la part de ses camarades. Une enfance passée à être à la traîne par rapport à ses pairs et à en subir les moqueries lui avait donné un côté irrascible, un tempérament vénimeux. Il prenait un malin plaisir à humilier les autres, afficher un mépris notoire pour à peu près tout chose et, le plus souvent, à se placer en tant que chef du groupe.
La nature lui avait donné un physique nerveux, un corps maigre aux muscles secs. Malgré une petite taille, des cheveux blonds bouclés et un visage plutôt rond et enfantin, ses lèvres perpétuellement ourlées en un sourire sournois et ses petits yeux mauvais lui donnaient une allure peu avenante. On l'entendait toujours arriver, à cause des nombreux tubes, fioles, et autres outils de découpe qu'il rattachait ça et là sur son corps par des lanières en cuir de bouftou.
Récupérer ce Sacrieur, c'était son idée. Il estimait ne pas pouvoir être efficace à cent pour cent sans avoir quelqu'un pour protéger ses arrières à lui. Vyem faisait désormais totalement l'affaire, et il n'hésitait pas à se jeter dans la bataille sans crainte, appréciant secrètement la simple idée que l'autre puisse souffrir à sa place.
Il entreprit alors de sortir d'un sac quelques restes de la chasse du jour précédent : quelques morceaux de viande, qui risquaient fort de pourrir si on ne les mangeait pas bientôt. Ca tombait bien, ils avaient tous les crocs.
-Ca m'a l'air encore bon, mais vu ce qu'il reste, 'faudra penser à chasser dès demain matin si on tient pas à avoir le ventre vide à midi, fit remarquer Beth en reniflant la viande, avant de la piquer au bout de longues tiges fines que Brizerain se chargeait de tailler à partir d'une branche cassée.
Le Iop était du genre silencieux, hormis lorsqu'on parlait butin. Méfiant, il s'efforçait dans ces moments de compter sur ses doigts à mesure que Beth le faisait à voix haute, malgré son incapacité à faire des additions dont la somme allait au-délà du chiffre quinze.
Costaud, avoisinant le mètre quatre vingt dix, il était impressionant, sans pour autant pouvoir faire de l'ombre à Torbwa et à sa carrure Pandoresque. Son habit simple, son visage peu expressif, ses favoris broussailleux et sa machoire carrée lui donnaient l'allure de l'aventurier Iop classique, sans une touche d'originalité pour égayer le tableau.
Des trois, il était celui que l'on remarquait le moins, car son tempérament le poussait à rester à l'écart la plupart du temps si le sujet ne tournait pas autour de batailles ou d'argent. Beth supposait qu'il était trop stupide pour suivre un autre sujet, quel qu'il soit, mais s'était accoutumé à ce compagnon de route peu causant et habitué à supporter ses râlages incessants sans broncher.
Lorsqu'ils commencèrent à manger, ce fut Torbwa qui se leva spontanément pour revenir auprès du Sacrieur. Les liens trop serrés marquaient la peau de ce dernier, mais le Pandawa doutait franchement que celà puisse le gêner.
-Tiens, faudrait pas qu'tu nous lache lors d'la prochaine attaque, mh ?
Ce faisant, il passa la lame d'une petite dague sous les fils noués qui maintenaient la bouche de leur prisonnier scellée, et donna une petite impulsion pour les trancher net. Celà fait, alors que le Sacrieur passait sa langue sur ses lèvres trop sèches, goûtant au passage les quelques gouttes de sang qui y avaient perlé, il posa un bout de viande au creux de son immense main, et la lui présenta, comme un éleveur nourrirait une Dragodinde pour éviter d'être mordu.
Vyem ne se fit pas prier et tendit immédiatement le cou pour venir choper ce qui serait de toute évidence son seul repas de la journée, les bandits ne l'ayant pas nourrit à midi et la nuit pointant déjà le bout de son nez. L'adepte de Pandawa l'observait silencieusement, se demandant -rien qu'un bref instant- ce qu'il se passerait s'il décidait de refermer sa main si massive sur le visage du malheureux, et d'attendre qu'il se mette à suffoquer. Est-ce que son côté Sacrieur le ferait apprécier le supplice de ses poumons s'emballant, le brûlant, de son sang qui se mettrait à pulser sauvagement dans ses veines avant qu'il ne rende un dernier soupir... ou est-ce que son instinct de survie le pousserait à paniquer, à troquer son masque d'indifférence glacée contre un visage déformé par une terreur absolue ?
Il retira sa main, laissant l'autre machonner tant bien que mal son morceau de barbaque.
Celà ne faisait que deux semaines qu'il était entré dans la bande, mais il était plus intrigué de jour en jour par le captif, développant une curiosité malsaine à son égard. S'il avait autrefois fréquenté des Sacrieurs, il avait toujours regardé de très loin leurs coutumes, sans jamais les comprendre (ni réellement chercher à le faire). Maintenant qu'il en avait un en permanence à proximité, son intérêt avait été multiplié par dix, et il désirait plus que tout satisfaire ses interrogations personnelles concernant son "fonctionnement".
Le Sac de frappe restait peut-être enfermé dans son mutisme, mais tôt ou tard, Torbwa savait qu'il parviendrait à lui extirper des réponses à ses questions, de gré ou de force.
Torbwa Yo. Page précédentePage suivante
Si on regarde le profil de Viddharta (donc l'auteur), on remarque que celui ne s'est plus connecté sur WW depuis le "30/12/12 à 17:51".
Quant à son profil sur le site officiel, il n'est plus passé dessus depuis le "05/06/2013"
Je doute donc de tes chances de le contacter. Mais si c'était moi, je prendrais les images en mettant la référence :)