Après une exécution publique, la Voie Martiale perdit très vite ses visiteurs. Seuls restaient quelques esprits n'étant ni pressés par des affaires personnelles ni par tirés une soif soudaine. Ceux-ci discutaient en marchant, créant ainsi un brouhaha des plus silencieux.
Parmi le maigre flot de paroles, on distinguait les Gardes vantant la rapidité d'action de leur Chef pour intercepter le fuyard, les retardataires dégoûtés d'avoir manqué le spectacle, des marchands vendant à un prix prétendument cassé des tableaux de la scène, les attardés et les organisateurs :
«Bon, ça c'est fait! Heureusement que les exécutions alimentent le marché et donc les taxes, sinon je ne tiendrais pas. Toujours la même chose, juste pour les beaux yeux du peuple!
-Ou pour servir d'exemple et faire une annonce, fit justement remarquer Rhigalt.
-Les deux dans notre cas, admis le Gouverneur de la nation au volcan. Vous pensez à qui pour remplacer ce "pauvre" Kirabi?
-Il y a bien son neveu, mais il est introuvable. Son bâtard aussi mais c'est inenvisageable et tout autant illocalisable. Après, il y a bien Ilof, le célèbre disciple de Zobal, c'est un choix acceptable tant qu'il se contrôle.
-Donnez-moi votre vraie idée!
-Je comptais utiliser ce poste comme monnaie d'échange avec les scientifiques de mes connaissances.
-Après tout, nous sommes à Brâkmar… Mais là je dis non. Un zobal d'accord, mais un scientifique non! Trop dangereux en diplomatie d'avoir un scientifique surtout s'il est illicite! Va pour Ilof! Je le connais personnellement, il ne nous gênera pas trop.»
L'écaflip sortit un parchemin de sa poche et gratta rapidement un message avec sa plume de Truche.
«Vous ferez placarder cet avis sur tout le continent. Je vous reverrais normalement dans cinq jours au Conseil. D'ici là, je vous donne quartier libre pour vos recherches.
-Très bien, répondit le xélor en survolant l'annonce de changement dans le gouvernement.»
Wayter eut le temps de noter que la main de son Chef des Gardes s’était crispé l'espace d'un instant sur la poignée de son Clef des Constellations.
Le ballon, glissant sur la canopée cotonneuse, amenait mort et désolation sur le continent amaknéen. Iclafipartare jetait ses bombes en permanence, tout en contrôlant le ballon pour rester au-dessus des nuages. Si les amaknéens se comportaient comme ils avaient coutume de le faire, le continent entier serait bientôt au courant pour le flot de mort infernal venu droit des cieux.
Troublantes, Infectées, Terrorisantes, Hallucinantes, Aveuglantes, Incendiaires ou Explosives peu importait : toutes les bombes franchissait gaiement les barrières de protections de la nacelle pour accomplir leur travail, leur vocation. Semer le chaos et la mort.
Ses poudres à Canoons renforcées crépitaient dans les nuages et transformait des simples édredons blancs en source de foudre destructrice. Iclafipartare ne pouvait pas voir de ses yeux le résultat de ses actions - la faute aux nuages qui garantissaient son invisibilité et donc la terreur croissante - mais entendait l'écho des bombes allié aux cris des mourants.
Pourtant peu poète bien que nostalgique devant ses créations, le roublard qui avait volé la nacelle se songeur face aux cris des mourants, dans les flammes étouffant, sous le fer expirant. Car son action céleste pourtant lancée depuis à peine une heure ravivait d'ors et déjà les antiques haines enterrées au fond du cœur des hommes.
En un si court laps de temps, Iclafipartare avait porté le coup de grâce au plus vieux des continents du Monde des Douze.
Bien plus loin sous terre, au-dessous d'une masse incroyable de ruines broyées par la nouvelle ville, au milieu de restes plus ou moins épargnés par le Grand Chaos de l'Ogre, un xélor impatient tournait en rond dans un lieu qui fut le théâtre de nombreuses décisions vitales pour la sécurité de la Nation.
Le Chef des Gardes pestait et fulminait. Son contact lui avait ordonné de l'attendre ici. Ordonné. Cela avait le don de l'exaspérer, surtout lorsque les ordres en questions venaient d'un pauvre brigand sans importance. Pour ne rien arranger, Wayter lui avait discrètement rappelé qui commandait dans le Gouvernement. Si ce malfrat n'était pas là dans la prochaine minute, il entendra parler de Rhigalt le xélor!
Une demi-minute.
Vingt secondes.
Cinq.
Celui qui cherchait à rencontrer le groupe de scientifique releva sa capuche et dégaina sa lame.
Zéro.
Rhigalt passa l'aiguille sous son bras et croisa les doigts. Une onde glacée traversa la pièce. Un sram redevint visible à l'entrée.
«Alors, on voulait me faire attendre?»
Le disciple du dieu des assassins eut la plus grande peine du monde à bouger ses lèvres.
«Tu es Mortica? Ah oui c'est vrai, tu ne peux pas parler.»
Rhigalt poussa un énorme soupir théâtral et claqua des mains. L'onde qui avait analysé le hall fit le chemin inverse et retourna dans les mains de l'envoyeur pour disparaître dans la poignée de la Clef.
«Alors? Es-tu Mortica?
-Ou...Oui
-Pourquoi m'as tu fais attendre?»
Le sram essaya d'articuler, en vain. La lame de la Clef, enrobée de l'onde gelée s'arrêta sur le cou de l'informateur. Celui-ci éructa quelques syllabes, sans succès.
«Pourquoi?
-Je pen...pen...pensais qu...qu...ser...aurait pu aug....ga...
-Que tu aurais pu gagner plus, devina le xélor. AR-TI-CU-LE!
-Je croyais pou...pou...pouvoir faire monter le s...la mise. On fait tous ça, réussit à prononcer le sram.
-Tu me dégoutes. Où est l'entrée?
-Il faut appuyer ici, avoua l'informateur en désignant un endroit du mur.
-Merci»
La Clef des Constellations quitta le cou du sram pour venir se planter à ses pieds. Le Ralentissement surpuissant du xélor contenue dans la lame se transforma en un cercle d'un mètre de diamètre qui retenant prisonnier et figé le sram.
«Si je suis satisfait je viendrai te libérer. Sinon, je te libèrerai quand même mais d'une autre façon.»
Le pouce de Rhigalt mima une décapitation.
«Au fait, Mortica c'est pas un nom de fillette?».
Les apprentis crièrent en même temps.
Ils venaient tous d'une nation différente, d'une baronnie différente, d'une classe sociale différente. Ils se haïssaient, cherchaient en permanence à surpasser les autres, à les écraser. Leurs parents avait jadis juré de ne reculer devant rien pour s'anéantir. Ils apprenaient ensemble à tuer pour s'entre-déchiqueter plus tard. Leurs dieux divergeaient. Il y avait des srams, des iops, des fécas, des steamers, des osamodas, des éniripsas, des xélors, des sacrieurs, des roublards, des pandawas, des sadidas, des énutrofs, des écaflips et même des zobals venus du monde entier. Leurs couleurs, leurs formes, leurs peaux, leurs convictions, leurs alignements, leurs mœurs, leurs façon de vivre, tout clamaient qu'ils n'avaient strictement rien d'autre en commun que leur volonté de battre.
Les apprentis crièrent en même temps.
Unis dans la surprise. Unis dans la peur. Unis dans l'anxiété. Unis dans la douleur.
Soixante-douze mains pointèrent la même cible au même instant.
Daniel chutait, inexorablement et fatalement. Au dessus de lui, des coups de sabres retentissaient en vain. Incapable de voir ou d'entendre, ni même de ce mouvoir, il comprenait parfaitement tout ce qui se passait bien mieux que si ses sens étaient en état de marche. Plus haut, à quelques secondes de chute, loin, très loin, Draek chuta dans le vide. La créature sauta droit sur Daniel. En dessous, les autres disciples entraient dans une hystérie collective. Leur compagnon qui tombait savait inexplicablement pourquoi. Ils craignaient pour le Maître.
De toute évidence, personne ne l'aimait. Ne l'aimerai jamais.
Un cadavre allait bientôt tâcher le sol immaculé et sablonneux du Kanojedo.
Sa dernière pensée vue pour la Garde Brâkmarienne, celle qui avait précipité son destin dans les abysses de l'Oubli. Il s'écrasa lourdement sur un sol métallique immaculé.
Sur le sol du Kanojedo, gisait un corps meurtri qui fut vite rejoint par une entité enragée.
Rhigalt frappa cinq grands coups contre la partie métallisée du mur. Une grande porte violette bloquait son passage et le dissuadait de passer en force. Il devait se contenter de "sonner" bêtement. Même les murs bloquaient sa magie. Ce groupe de chercheur était vraiment bien équipé.
Quelques mètres plus loin, mais si loin de la porte pour l'impatient xélor, Evayn nota des ondes régulières dans un récipient accolé au mur.
«Vous avez invité quelqu'un, demanda la crâ.
- À part le féca, personne, ne répondit l'éniripsa.
-Le Chef de la Garde Brâkmarienne, reconnut Bahamer. Il a besoin des connaissances que nous avons accumulées pour retrouver Fatale. Je lui ai proposé de venir pour juger de notre talent.
-Tu le connais, s'enquit Evayn.
-Non, j'ai demandé à Mortica de jouer au messager. Elle ne l'a pas très bien pris mais s'est quand même exécutée.
-J'espère que tu as au moins négocié un bon accord, soupira Miss Étincelle.
-Toutes les autorisations pour faire une installation en surface - ne vous inquiétez pas, les papiers sont signés et surtout j'en possède l'unique exemplaire. Des yeux fermés sur nos activités souterraines et sur le devenir de nos cobayes. Le reste, à négocier.
-De toutes façons, maintenant qu'il est là... Va donc lui ouvrir.»
La steameuse conseilla à ses amies de surveiller les données et les charges des récepteurs puis sortit de la pièce centrale.
La solide et massive porte de Stasisili se souleva enfin pour laisser apparaître une femme de toute évidence disciple d'Octapodas mais en rien semblable aux steamers classiques. Rhigalt remarqua aisément qu'elle était plus humaine que mécanique. La couleur de sa peau était à mi-chemin entre le blanc albinos et l'argent métallique. Ses mèches de cheveux blanches formaient des piques qui chutaient tout autour du visage. Le violet de ses yeux rappelait la formidable énergie qu'elle maîtrisait, à l'instar de tous les membres de sa classe. Le plastron aux reflets brumeux qu'elle portait inquiétait le Chef des Gardes de part sa résistance apparente. Des mécanismes alimentés par de très fin câble provenant d'une batterie accrochée à sa ceinture formaient des formes étranges dans son dos et sur sa main gauche. Le xélor déduisit de son apparence humaine qu'elle devait provenir des hautes sphères de sa société. Ses longues veillées de lectures lui avait appris que seul de rares steamers étaient encore de chair et d'os et donc que, sans leurs avatars robotisés aussi indépendants que de véritables êtres pensants, la classe était vouée à l’extinction.
«Rhigalt, Chef des Gardes, je suppose, l’accueillit Bahamer.»
Rhigalt s'en voulut. Intrigué par l'apparence déconcertante, il l'avait laissé parler la première et donc, d'une façon qu'une rare minorité dont lui et la steameuse faisait parti, prendre l'avantage et démontrer sa supériorité.
«En personne. Et vous?
-Bahamer. Demi-sœur du prince mais avant tout scientifique. Je vous en prie, entrez.»
Rhigalt suivit la femme aux cheveux métalliques dans la pièce blanche qui faisait office de sas.
«Prenez une combinaison. Sauf si vous voulez prendre le risque d'être liquéfié par le déficit Énergétique ambiant.
-Avez-vous ce que je cherche, demanda d'un ton inquisiteur le xélor.
-Non, sinon nous serions déjà toutes-puissantes. Après tout, vu que même l'Horloger ne l'a jamais trouvé et crois toujours après elle... S'il vous plaît, enlevez cette aiguille de votre ceinture. Il vaut mieux ne pas troubler l'atmosphère ambiante. Je croyais que vous connaissiez ça. Mais bon... Si vous avez été "élu" au Gouvernement ce n'est sans doute pas pour vos connaissances. Vous avez fait quelles universités? Pas l'AASATM j'espère? En fin bon, après vous.»
Le visiteur s'exécuta de mauvaise volonté. Même Wayter ne l'avait jamais rabaissé ainsi au rang d'amateur.
Et pourtant, dans ce temple du progrès, c'était ce qu'il pouvait espérer de mieux. Les masses phénoménales de connaissances qu'il avait ingurgité s’arrêtaient loin, bien loin, si loin, trop loin de là où commençait celui de cette chercheuses et de ses compagnonnes. Il le comprit en voyant l'immense installation qui occupait le dôme souterrain. Les deux collègues de la steamette stafferaient sur plusieurs leviers. Cela ne les empêchait en rien de savoir ce qui se passait autour, comme le démontra leur rapidité à le saluer
«Alors, c'est vous l'invité de Bahamer, s'enquit une des femmes en tenue de protection avec un accent superbe.
-J'espère que vous avez de bons arguments. Notre bibliothèque contient à elle seule plus de connaissances que celles de Sufokia et de Brâkmar réunies, fit l'autre.
-Bonjour, rétorqua simplement Rhigalt.»
Aucunes des chercheuses ne fut dupe : Miss Étincelle avait produit son effet si singulier en moins de huit mots et le visiteur était troublé par cette aura charmeuse.
«Laissons la négociation pour plus tard, proposa l'homme en armure.
-Comme vous voudrez, accepta la crâ. Evayn, enchantée.
-Rhigalt. Et qui est votre dernière amie?
-Vous allez me vexer. "Dernière", ce n'est pas très gentil.»
Dans le dos du xélor, Bahamer sourit à pleine dents. À ce rythme, la négociation sera plus que bénéfique.
«Veuillez m'excuser. Comment vous nommez-vous?
-Miss Étincelle, répondit l'interrogée de sa voix si enivrante. Pour vous faire un résumé rapide, nous avions juste fini d'analyser l'Empreinte du féca cobaye lorsque vous êtes entré.
-L’Empreinte, releva Rhigalt.
-Vous savez sans doute que chacune de nos actions sont influencées par et influencé deux grandes Forces : le Wakfu et la Stasis, expliqua Evayn. Au cours de sa vie, n'importe quel être doué de pensées modifiera son alignement quant à ses Forces. Cet effet est beaucoup plus notable chez ceux que certains appellent les êtres supérieurs, c'est à dire nous. Donc, chacune de nos actions modifient imperceptiblement la capacité de nos cellules à être en symbiose avec ses Forces.
-Et donc, ce n'est pas créer ou détruire qui influe sur la Stasis ou le Wakfu dont est imprégné votre corps, ou du moins pas directement, continua Bahamer. Vos cellules ne sont que de "simples" éponges à Forces qui drainent toute l'énergie possible et compatible avec elles-mêmes. Il faut des centaines d'actions pour augmenter ne serais-ce que de trois pourcents votre alignement dans l'une de ces Forces. De plus, plus vous êtes imprégné d'une Force plus votre corps aura du mal à l'absorber.
-Je sais déjà tout ça, s'impatienta l'invité.
-Hélas, toute cette puissance n'est pas utilisable par le corps, reprit Evayn. La faute à notre métabolisme qui est incapable de brûler cette puissance sans se brûler au sens propre. Et en se brulant, libérer de manière spectaculaire toute son Énergie. Pour en revenir à l'Empreinte, c'est la silhouette de l'alignement d'une personne en Wakfu ET en Stasis.»
La crâ avait bien insisté sur le mot de deux lettres.
«Personne n'est imbibé que de Stasis ou que de Wakfu. Tout le monde possède une certaine part des deux Forces réparti d'une certaine façon. Cette imprégnation est la marque de la nature profonde de chaque être. Une réaction en chaîne complexe nous permet d'en obtenir la forme exacte. Notez bien qu'il n'existe qu'une seule Empreinte par personne. Dans le cas contraires, il y aurait conflit et ce serait la plus puissante qui resterait. L'autre serait immédiatement désagrégée par les lois du Krosmoz. Or, nous avons réussi à développer un mécanisme de duplication.
-Et donc? En quoi cela m'intéresse-t-il? Je cherche Fatale, pas une signature.
-Soyez un peu plus patient et vous comprendrez, requit l'éniripsa à la voix si belle. En fait, je crois que vous pouvez trouver par vous-même : si l'Empreinte est la nature de chaque être, que nous sommes capable de la reproduire et que nous pouvons modifier celle d'un cobaye, qu'en déduisez-vous?»
La réponse, aussi fabuleuse qu'impensable se fraya un passage dans les pensées de celui qui devait répondre :
«Il est possible de changer la nature profonde de quelqu'un. Que vous pouvez aller jusqu'à échanger ces natures entre deux vivants.»
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20/07/13 - Fin de ce premier Carnet!