L'Espoir (Partie 1) - Les Carnets 3 abonnés

4. Chapitre 4 : Sciences6

La tension montait entre Brâkmar et Bonta. Agressions, vols de ressources, destruction de l'écosystème adverse et diffusion de rumeurs insultantes en tous genres en étaient la preuve formelle. Les visiteurs évitaient d'aller sur ces nations. En fait, ils évitaient de visiter n'importe quelle nation : entre Amakna la ravagée et Sufokia la militariste, aucune nation ne gagnait beaucoup grâce au tourisme. Même les habitants de Katrepat, d'habitude si prompt à l'exode préféraient rester sur leur île. Les marchands comme Kabrok voyaient leurs bénéfices baisser et nombre d'entre eux se lançait dans la piraterie et l'illégalité.

Paradoxalement, les scientifiques se réjouissaient de ces temps troubles qui les autorisaient à aller toujours plus loin dans leurs expériences et en se souciant toujours moins des notions d'équilibre entre Wakfu et Stasis. Les théories les plus folles étaient mises en pratique. Comme toujours, les ragots s'en donnaient à cœur joie et parlaient même d'expériences génétiques sur certaines classes. Le problème majeur avec les médiseurs, c'est que chacune de leurs rumeurs ont un fond de vérité. Et ceux qui expérimentent sur des sujets approchants préfèrent la discrétion à la lumière. En occurrence, quoi de plus discret que l'illégal?

Trois femmes allaient bientôt s'illustrer dans la recherche sur les Energies primaires. Le Wakfu et la Stasis. Toute expérimentation sur ses Forces des êtres vivants étaient auparavant proscrites. Auparavant. Avec cette tension politique, tout était possible. La crâ, l'éniripsa et la steamette développaient un système d'extraction des Forces des êtres vivants. Elles finalisaient une nouvelle version de leur extracteur sous de grandes tenues étanches qui ne laissait rien voir d'elles. Deux d’entre elles étaient présentes dans le grand dôme souterrain à Brâkmar d’une centaine de mètres de diamètre qui accueillait leur laboratoire et discutait en s'affairant sur un assemblage d'engrenages, de métaux et de tubes à vide :

«Bahamer, demanda la crâtte à la steameuse. Tu en es où avec le moteur à Stasisili?
-J'ai presque fini. L'extracteur à Stasis consomme par contre énormément.
-Pas de fuite? Notre dernier cobaye est devenu plus bête que Iop à cause d'une toute petite fuite. Sous forme gazeuse en plus!
-Non, non. Je te rassure Evayn : j'ai rajouté un gaz de ma composition qui illumine fortement le Stasis en contact avec l'air. Au fait, tu sais où est passé Miss?
-Je crois que notre chère éniripsa est partie chasser du cobaye.
-Espérons que ça ne soit pas encore un iop. Ils veulent toujours se débattre et troublent la plaque du Wakfu. Dommage pour eux.
-Ne t'inquiète pas, il me semble qu'elle a un ami qui possède un spécimen parfait. Un spécimen jeune, en pleine forme mais pas trop agité. Le sujet idéal pour une certaine opération.
-Transfert, devina avec un sourire en coin Bahamer.
-Transfert. Le sujet idéal pour tester le Transfert je crois...
-Et tes relevés sur cette saison prolongée ?
-L’été nous quitte, hélas. Ce n’est qu’un début, les jours ne raccourcissent que très doucement, mais il finira bien par partir. Nous sommes en plein Octolliard, et on se croirait en Juinssidor. Ce n’est pas bon.
-Les jours risquent de raccourcir de plus en plus vite.
-Bien que cela ne nous gêne absolument pas pour le Transfert. Pauvre cobaye!»

Iclafipartare se tenait en équilibre précaire. Pour être précis, il progressait sur une surface verticale. Surface qui était au-dessus de lui. Le flic-floc régulier des égouts ne l'aidait pas à se concentrer.

Non loin de là, une sadidette s'asseyait dans son fauteuil. La Compagnie des Transports l'avait engagé quelques jours plus tôt en lui promettant de devenir rapidement Gérante ou Guide. Au lieu de quoi elle passait sa journée dans un bureau minable où elle devait contrôler les passeports des voyageurs qui passaient par les égouts. Elle rit toute seule. Personne n'utilisait les égouts comme chemin d'accès à la zone réservés aux amaknéens. Du coup, les recommandations de son directeur à propos des pillards étrangers ou des hors-la-loi de la nation ne la concernaient pas du tout.

Elle n'eut même pas l'idée qu'un certain roublard hors-la-loi cherchait à entrer dans la zone amaknéenne illégalement.

Peu de temps après, Iclafipartare atteignit la Prison. Comme pour la mine, il installa une bombe aveuglante sur un mécanisme afin de distraire le gardien. Ce dernier ne bougea pas d'un poil mais au moins ne vit-il pas le roublard s'introduire. Le hors-la-loi entra donc dans la Prison sans problèmes.

En le voyant arriver, les incarcérés eurent la bonne idée de ne faire comme si rien n'était. Iclafipartare installa des bombes chargée pour une explosion sourde, précise et forte dans chacune des serrures puis les relia avec de la poudre. Il ne résista pas au plaisir d'allumer cette poudre avec la torche qui éclairait la balance qui représentait la Loi.

Malgré son talent certain, le gardien de la Prison fut impuissant face au flot de détenus évadés.

Si quelqu'un était bien indifférent à tous les problèmes politiques actuels, c'était Daniel. Une journée de plus passée à récurer les égouts l'avait affamé pour de bon. Il avait certes pu manger un rat qu'il avait réussi à attraper (ses réflexes acquis au Kanojedo commençaient à payer) mais c'était bien peu. Trop peu pour lui donner de réelles chances de survivre.

De la petite lucarne, il vit le ciel se teinter de rouge comme à l'approche du coucher de soleil :

«Déjà? Il s'est levé il y a pourtant à peine quelques heures!»

Parler tout seul était devenu son seul et unique recourt contre la folie.

«Qu'est-ce que c'est que cette musique?»

Des notes profondes, torturés résonnaient dans l'air.

«L'Ogranina! Un Chaos d'Ogrest!»

Des éclairs illuminaient le ciel violet. La pluie se mis à tomber à grosses goutes. Un ras de marrée déferla sur la rue où se trouvait la lucarne et se jeta dans cette dernière. Le petit seau fabriqué par Daniel se remplit en un clin d’œil.

«De l'eau!»

Daniel sauta pour récupérer son seau. Le niveau d'eau dans la canalisation montait à une vitesse impressionnante.

«Enfin de l'eau qui a une couleur normale!»

L'eau contenue dans le seau était limpide et transparente et non pas infecte comme les jours précédents.

«Salée quand même.»

Toutes les ordures flottaient maintenant. Daniel vit une silhouette se détacher du mur :

«Maman?
-Oui, Daniel.»

La voix était chaleureuse et pleine d'amour.

«Tu n'es pas morte? Laisse-moi te toucher, s'il te plaît!
-Tu n'as donc pas confiance en moi?»

La voix était emplie de tristesse et de reproches cette fois.

«Je t'ai vu mourir! Laisse-moi m'assurer que c'est bien vrai.
-Pas avant que tu finisses de nettoyer ces égouts!»

L'apparition avait maintenant la tête du maître.

«Qui es-tu à la fin?
-Ta destinée.»

Un cadavre se tenait désormais à la place de la silhouette.

«Non! C'est faux!
-Tu mourras! Tel est ton avenir!»

Une silhouette encapuchonnée à présent. La voix revenait sans cesse aux oreilles de Daniel, sombre et profonde comme un abîme.

«Non! Il doit exister une autre solution!»

L’encapuchonné s'avança jusqu'au disciple et lui murmura à l'oreille :

«Bien sur! Viens avec moi et tu ne mourras jamais.»

La silhouette mystérieuse tendit sa main à Daniel, qui se démena pour lui échapper.

«D'ici très peu de temps, l'eau t’emportera et broiera tes os! Accepte ou meurs.»

En reculant toujours plus, l'apprenti sentit un objet dur qui n'avait rien à faire ici étant donné que l'eau et les moisissures mollissaient tout ce qui était là. Il attrapa l'objet inconnu et le lança sur don bourreau, qui l'évita d'un pas sur le côté. Un bruit métallique se fit alors entendre. Le disciple osa espérer que quelqu'un au Kanojedo avait entendu et viendrait le chercher.

En continuant de reculer, il fut surpris par la clarté soudaine de l'endroit. Ce n'était tout de même pas une lumière de plein jour mais quand même suffisante pour faire de l'obscurité une semi-pénombre. En profitant, il chercha du coin de l’œil la source de la lumière qui émanait de…

«Un bâton, dit Daniel.
-Hein! Tu délires! Ta fin est proche! Viens avec moi au lieu de crever comme un iop!»

Le bâton était en fait un sceptre. Grand et en parfait état, il était recouvert de symboles étranges qui brillaient avec une lueur bleutée dansante. Il semblait vivant.

«Tu regardes quoi comme ça?»

Daniel leva les yeux vers la silhouette qui s'intéressait à lui et répondit :

«Ça.»

Le bâton fit un demi cercle parfait et traversa l’encapuchonné comme s'il n'était fait que d'ombre.

«Ah ah ah! Un simple petit bâton! Rien qui ne puisse me faire du mal! Pas à moi!»

À ce dernier mot, les runes du spectre s'illuminèrent de plus belle.

«Daniel!!!!!»

L'appel provenait du Kanojedo. L’intéressé reprit son arme à deux mains et frappa avec la force du désespoir son bourreau. Il crut voir les runes éclairer toute la conduite comme en plein jour avant de frapper la silhouette mais sans doute rêvait-il. Daniel eut l'impression de voir son ennemi crier puis disparaître. L'appel provenant du Kanojedo reprit :

«Bon sang Daniel vient! Pas que ça à faire!»

Le pauvre disciple fut emporté par le courant.

Kirabi reprit conscience dans un tonneau rempli à moitié d'un liquide bleuâtre. Il tenta de le boire mais une main froide s’abattit sur son épaule et arrêta son geste :

«Pas de ça! Sauf si tu veux ressembler aux Brasseurs des Trois Pistes.
-Qui êtes-vous?
-Un ami. Ou pas, tout dépend de toi.
-Que me voulez-vous, interrogea le Challengeur. Et que dois-je faire?
-Je ne veux que ta coopération.
-Pour?
-Ta démission, répondit le xélor qui l'avait enlevé sans une goutte d'humour dans sa voix. Démissionne de ton poste au gouvernement et je serais ton allié.
-Sinon?
-Je serais ton bourreau. J'ai récemment acquis une Clef des Constellations et il me faut reconnaitre que j'ai bien envie de la tester.
-Mais enfin, ce poste représente toutes mes entrées à la taverne! Vous ne voulez tout de même pas m'en priver! Non, non et non je préfère bien mourir.
-Si tu as tant de bière dans le sang, te découper avec ma Clef la salirait. Je pense plutôt de confier à des amis. Ta mort deviendrait doublement utile dans ce cas. Hum, c'est à réfléchir, raisonna le xélor en caressant sa lame.
-Moi aussi je peux réfléchir?
-Nous sommes à mi-journée. Je reviendrais ce soir!»

En sortant, un appel d'air abaissa la capuche du xélor.

«Toi! Mais enfin pourquoi mon cher, débuta Kirabi sans pouvoir continuer.»

D'un geste expert, le kidnappeur avait arrêté le temps.

«Maintenant que tu sais qui je suis, plus question de te laisser sortir. Voici ma nouvelle offre : tu signes cette lettre de démission et tu peux choisir ta mort entre décapitation et transformation en Brasseur fantôme ou alors tu refuses et tu sers la science avec une mort plus que douloureuse. À ce soir de toute façon!»

Le temps redémarra alors que le xélor sortit de la réserve en claquant et verrouillant la porte.